ITINERAIRE
par Ludivine Joinnot (Collectif critique Biennale Ch/D)

«Chassez de votre esprit les idées parasites. Fermez les yeux. Regardez…» Des instructions livrées au public via une voix off électronique… Coincée dans une «boîte-trapèze», Mélanie Munt s’impose une prison que nul ne lui a imposée. Elle chante une chanson d’amour, demande qu’on l’embrasse, qu’on prenne ses mains, qu’on prenne tout d’elle. Son corps parle le langage de la contorsion répétée, se fait petit, recherche une place dans cet espace quasi clos. Elle oblige ses membres à s’enchevêtrer les uns dans les autres, elle se rejoint, comme en position fœtale. Enfermement temporaire? Elle semble si maladroite, si naïve. Le cadre qu’elle se donne la limite dans ses actions. Mais elle cherche à sortir de sa gangue, cherche à revivre «normalement». Plus qu’une naissance, elle vit une renaissance, qui la charge d’une mission: refaire surface, hors de ce huis-clos dans lequel elle s’est forcée à se barricader. On regarde les choses de haut. L’enveloppe dans laquelle elle s’enferme nous paraît désormais modulable. On plonge dans l’intimité d’une femme qui raconte son histoire rien qu’en ondulant les mains, les bras, la tête, les jambes, les pieds.

Un corps qui rampe, qui peu à peu sort de sa coquille pour partir explorer le monde. Une fois dehors, c’est son ombre qui la remplace dans la boîte, et prend la forme d’un marquage après le meurtre. Elle quitte un endroit pour vivre un ailleurs tout en laissant une trace d’elle sur son point de souffrance.

Elle cherche. Comme un animal. Sans plus savoir comment il faut faire. Comme en déséquilibre. Besoin de réinsertion. Comme le jour qui fait mal quand on a trop regardé la nuit. En maladresse toujours, en ivresse, en peur, elle s’agite timidement. La musique est calme. Un film appuie sa perdition. Elle ne se trouve plus. Elle ne sait plus où elle a bien pu s’abandonner. Elle est parvenue jusqu’à une forêt mais elle ignore où elle va. Elle n’est guidée par aucune étoile. Elle s’imagine des dangers, des bêtes venant lui manger l’oreille. Elle aime pleurer. Le sentier. La forêt.

Debout, son corps se dessine en ombres lumineuses. Son cœur se peint de rouge. A l’intérieur. Il prend toute la place. Elle a donc encore un cœur... Elle n’en avait plus conscience. Elle parle à son contour dessiné sur un mur. Elle lui dit, à cette trace d’elle, qu’elle est belle. C’est difficile de quitter sa propre enveloppe. C’est délicat.

Dalida et Alain Delon chantent… «Paroles, paroles, parolesToujours des mots, rien que des mots.» Ca en fait trop. Pendant ce temps, Mélanie boxe, frappe ses hiers dans l’espoir secret de retrouver le chemin vers demain. Elle perd son ombre, glisse, se couche au sol. Seule. Puis, se redresse et danse. Joyeuse, elle explose. Comme lorsque l’on perd l’amour, que l’on rit, que l’on pleure, que l’on est perdu. L’espace est encore trop large pour s’y retrouver; il faut du temps… Elle quitte les endroits qui ne sont pas faits pour l’accueillir. Se penche. Se met en route. Se perd davantage. Dans la lumière rouge, Dalida et Alain Delon lui rappellent qu’elle est belle. Elle ou son ombre. Elle retourne aux contours de son corps dessinés sur le mur. Elle n’est plus un mais deux. Elle se laisse colorier pour rejoindre son ombre délimitée. Sa vie n’est plus qu’un gribouillis d’enfants, des bouts de laine emmêlés. Des lignes se dessinent. Des chemins s’offrent à elle. Elle ne sait pas lequel prendre. Elle est Ariane. Elle est une silhouette dans un labyrinthe, dans un mystère, dans un point d’interrogation. Elle est elle-même le point d’interrogation.

La voix off revient (celle issue d’un système de navigation ou d’un photomaton). Elle donne des instructions à Mélanie Munt. Puisqu’elle avait oublié la route, il faut tout lui expliquer, à nouveau. Lui rappeler. Qu’il faut fermer les yeux. Lever le bras. Encercler son partenaire. Tendre les lèvres. Sortir la langue… Il faut tout lui expliquer, à nouveau. Lui rappeler… Les instructions se mélangent. Dans sa tête. Dans la réalité aussi. La machine s’emballe. La danseuse ne sait plus que faire. Aimer, danser, deviennent compliqués. Elle reste tendre dans sa maladresse, dans son incapacité à se souvenir. Elle est amnésique à l’amour.

Elle lui demande de l’embrasser. Elle a envie de lui plaire. Elle se perd encore. Dans la forêt. Dans la lumière. Elle voit un loup animé, tout droit sorti d’un dessin, de ceux que l’on trouve dans les livres pour enfants. Elle entend le bruit d’un insecte. Le loup a déjà dévoré quelqu’un. On le voit en transparence, tout entier encore, dans son ventre. Comme dans les contes. Elle se cache pour éviter de se faire avaler. Elle se camoufle dans la végétation. Elle se fait caméléon de ses émotions. Elle y revient. Elle se recache dans un coin. La lumière dans la tête. Nulle part ailleurs.

Elle cherche le sol. Ses doigts courent sur le plancher. C’est le cycle de l’amour. Il faut retourner dans sa caisse. Réapprentissage de l’affection pour un animal enfermé qui a peur du monde. Animal amnésique par volonté, non par accident; les prisons où l’on s’enferme volontairement sont souvent plus grandes que celles où l’on nous emprisonne… Il faut tout lui réapprendre. Tout. Absolument tout. Parce qu’elle a perdu le chemin. Parce qu’elle ne sait plus lire la carte. Parce qu’un GPS, quand on marche dans une forêt, c’est ridicule. Il faut tout lui réapprendre. Elle est amnésique à l’amour.

  ENG
adbc photos (c) Pedro Citoler

ITINERAIRE (création 2009)

Incognito, mais probablement comme tous les autres, chaque être fait de son mieux pour poursuivre son chemin. On consacre une énergie invraisemblable pour atteindre ses buts et franchir ses obstacles.
On ne s’y prend pas toujours avec la plus grande adresse, on n’est pas toujours maître de la situation. En fait, sans le vouloir ni le voir, on se crée souvent ses propres obstacles.
Itinéraire est une réflexion chorégraphique sur nos (ré)actions face à nos obstacles.Les petits drames et victoires quotidiens d’un individu, montrés avec humour et avec le sourire de l’autodérision.

Concept, chorégraphie et interprétation : Melanie Munt
Assistante à la chorégraphie : Aleksandra Janeva
Dramaturgie : Sylvie Huysman
Création lumières : Laurence Halloy
Création sonore et vidéographique : Antonin De Bemels
Création décors : Marie-Bénédicte Baudin
Construction décors: Gaspard Berlier
Structure de production : asbl Quoi d’autre

Coproduction: Centre Chorégraphique National de Franche-Comté à Belfort, danse! - association jurassienne pour la danse contemporaine, festival éviDanse, Fonds de coopération culturelle Territoire de Belfort / République et Canton du Jura, Pour-cent culturel Migros, le Cc Jacques Franck et asbl Quoi d’autre.

Avec l'aide du Ministère de la Communauté française Wallonie-Bruxelles - Service de la Danse.

Soutien: Centre de Culture et de Loisirs de St-Imier et Centre Culturel Régional Porrentruy, la Raffinerie (Charleroi/Danses), Les Brigittines.

Création : 27 + 28.3. au festival EviDanse à Porrentruy, Suisse (Avec le soutien de Wallonie-Bruxelles International)

Avant-première pour professionnels : 24.3. 2009 aux Brigittines, Bruxelles