-une interview en octobre 2000 sur le site idearts.be: http://www.idearts.be/magazine/dossiers/coulisses03.htm

-une exposition de Jean-Claude De Bemels présentée du 9 au 27 janvier 2001 à la Maison du Spectacle - La Bellone - Bruxelles.

" Scénographie : espace partenaire "

INFORMATIONS.. ……….ARCHIVES….....TRACES.............. pourquoi garder des traces d'un art par essence éphémère ?

Texte-photos-vidéos-éléments de décor-costumes ne sont évidemment que des reflets d'un moment intense de théâtre qu'on a vécu et que d'autres ne pourront jamais connaître.

Mais on aime à retrouver ces moments et on aimerait les faire partager à d'autres.

Ces lambeaux de spectacle peuvent tout au plus contribuer à mieux faire comprendre toute la complexité d'une création théâtrale.

Suggérer d'autres pistes de recherches ….......des voies théâtrales pas ou trop peu explorées….

La scénographie est multiple : voici à l'occasion de cette installation à La Bellone quelques façons de l'envisager.

Scénographie « de rue »

Scénographies déambulatoires, portées, tirées, poussées, manipulées.

LE PERIACTEUR

Création : Jean-Claude De Bemels

Conception et réalisation technique: Bruno Renson

Décoration : Jean-Claude De Bemels, Julie Delwarde, Peggy Frankart, Pieter Heycken, Geneviève Périat

et Raphaël Rubbens

Exposition Universelle, Lisbonne, 1998

Lors de l'exposition universelle de Lisbonne en 98, Joao Brites, du Théâtre O'Bando, fut chargé de la conception d'une animation de rue dans le cadre de l'expo. Il lança l'idée d'une parade de « machines à pérégriner ». Suggestion d'un Portugal qui connut l'expansion coloniale, les grands voyages, les grandes découvertes. Brites demanda à douze scénographes ou théâtres de concevoir chacun une machine à pérégriner. Ainsi, Jean-Claude De Bemels inventa le Périacteur. Machine destinée à être tractée et poussée par deux ou trois personnes, le Périacteur se présente comme une sorte d'énorme insecte-araignée, il peut étendre ses 6 pattes, ou les rétracter. De Bemels travailla sur la décoration de cette machine avec d'autres scénographes à qui il confia librement cette déco sur base de quelques éléments thématiques : évocation des voyages, avec leurs réussites et leurs échecs, idée que la conquête de ce qu'on appela le Nouveau Monde, ne se fit pas sans mal, idée que toute conquête entraîne son lot de blessures, amputations, morts, terreurs et tortures…Ainsi, à côté de trophées (bannières, vestiges de bateaux, cordages, étendards déchiquetés, bijoux, trésors de guerre en tous genres…) apparaissaient des béquilles, prothèses et moignons, bouts de squelettes, tuyaux qui évoquent viscères ou hôpitaux… Les comédiens-musiciens engagés pour tracter-tirer-pousser cette machine inventèrent chacun leur « histoire » à partir du matériau brut que leur proposait De Bemels. Les scénographes avaient donné un nom à chaque patte, les comédiens et percussionnistes engagés leur donnèrent une histoire : histoires de guerre, de défaites ou de victoires, histoires belles et amères, histoires glorieuses ou pitoyables… Ainsi, De Bemels donna à sa machine une triple paternité : la sienne pour la conception globale, celle des scénographes complices de la déco et celle des comédiens pour les sens. Ainsi purent-ils jouer, au cours des 135 sorties prévues, le même schéma : ils ne tiraient pas une « machine », mais un support de sens, une histoire devenue la leur, de guerre, de mort, de peur, d'espoir. Toute la « mise en scène » était ainsi conçue : la trame leur permettait de réinventer chaque jour un cheminement en quatre phases : un moment de lamentation, un moment de peur, un moment d'espoir, un moment de chant quasi joyeux.
L'objet scénographique fut ainsi apprivoisé, accepté à part entière par les acteurs comme partenaire de jeu, « complice ».

maquettes de costumes des "navigateurs"

Scénographies inspirées par un matériau

-le BAMBOU dans l'installation présente :

Un matériau fascinant au théâtre pour sa légèreté, sa souplesse, mais aussi sa robustesse.
Le scénographe l'a souvent utilisé pour ces raisons : des bambous comme supports d'étendards, des petits bambous comme armatures de costumes aériens ou de chapeaux étonnants dans un opéra, décoration légère de chars énormes dans la Parade Zinneke, …
Des bambous de 5 mètres reliés entre eux par des soieries légères forment un décor mouvant que 2 ou 3 personnes peuvent manipuler sans effort.
Le bambou est une matière superbe, quasi dorée dans les éclairages.
Son seul « défaut » est de se fendre s'il fait trop sec, et de ne supporter ni clou ni vis.

-l'EAU dans « Fin de partie » et « La soupe au crapaud »

FIN DE PARTIE

de Beckett

Mise en scène : Marcel Delval

Théâtre Varia, 1984

Qu'on se souvienne de cette pièce connue de Beckett : cette partie de fin du monde, un vieillard et son serviteur, les parents dans des poubelles, cette pièce qui se joue dans un no man's land, on ne sait où, dans une sorte d'après guerre/après cataclysme.

Le Théâtre Varia allait être rénové. On pouvait y imaginer une scénographie qu'on n'aurait jamais osée dans un théâtre tout neuf. C'était un énorme espace vide, avec une ancienne structure de cadre de scène, et puis rien.

Chance pour un scénographe : le vide et tout à faire.L'idée fut de suggérer un monde mis sous eau / un théâtre où l'eau monte.

Tout le Varia, de mur à mur, transformé en bac à eau. De l'eau partout, jusqu'au mur du fond. De l'eau jusqu'au bord des pieds des spectateurs. Un container abandonné pour les parents. Le vieillard en chaise roulante, juste à raz de l'eau. L'acolyte dans l'eau, de la première minute du spectacle jusqu'à la dernière. Formidable machine à jouer la fin du monde pour des comédiens consentants ! John Dobrynine avait une combinaison de plongée sous son smoking. Les parents avaient une chaufferette dans leur container. Claude Etienne assis sur son siège au raz de l'eau pendant tout le spectacle était soigneusement emmitouflé.

Mais quel effet prodigieux pour les spectateurs d'entrer dans ce théâtre inondé, où des premiers sièges fictifs avaient été reconstruits aux premiers rangs, avec une fausse rampe de scène et trou du soufleur sous l'eau pour accentuer l'illusion. Et pour y ajouter une touche surréaliste, la rampe s'éclairait sous l'eau et du trou sortait réellement la voix du soufleur.

 

LA SOUPE AU CRAPAUD

de Didier de Neck et Bernard Chemin

scénographie sur une idée de Bernard Chemin

Théâtre de Galafronie, 1983

Être scénographe, c'est parfois se mettre au service d'un metteur en scène ou d'un créateur pour l'aider à réaliser son idée, fut-elle apparemment la plus farfelue ou la plus impossible. Par exemple, l'envie de jouer dans une énorme assiette à soupe, qui devient la scène où vont se matérialiser les rêves d'un gamin qui ne veut pas manger sa soupe…

Le théâtre devient alors le lieu fabuleux de l'objet hors mesures. Une cuillère de 2 m 70 dans une assiette qui contient 5000 litres d'eau !

Cette scénographie apporta son lot de problèmes techniques inouïs à résoudre. Pas possible de transporter une assiette de cette dimension en tournée de théâtre pour enfants ! Donc, inventer une assiette en deux parties, démontable, mais étanche quand elle est remontée. Nécessité de lui adjoindre une pompe pour la vider entre deux séries. Comment donner l'illusion de la soupe ? On fit des essais de colorants, mais ils coloraient plus le costume, les accessoires et le comédien. Exit les colorants. On colora alors le fond de l'assiette, et on fit flotter dans l'eau des faux légumes en latex pour qu'on ne voie pas le fond, ni les nombreux accessoires du spectacle qui étaient tous DANS la soupe au début …Là aussi, le comédien a une combinaison de plongée en dessous de son costume pour tenir le coup.

Scénographie de tournée
-montage et démontage tous les jours
-transport dans une camionnette

SOUS LE CHAPEAU D'HENRI

de Philippe Léonard et Sylvie De Braekeleer, sur une idée de Michel Bernard

Mise en scène : Sylvie De Braekeleer

Théâtre Isocèle, 1996

Spectacle créé collectivement sur le thème d'un personnage qui a réellement existé (à la mort de sa maman, il a commencé à peindre sa maison, intérieur et extérieur, le jardin, les meubles, son chapeau, ses vêtements, sa vaisselle... de milliers de points de couleur, devenant progressivement une attraction dans son village), SOUS LE CHAPEAU D'HENRI est un spectacle pour jeune public destiné à tourner pour les enfants de 6 à 12 ans, dans les écoles ou les lieux culturels, pendant les heures scolaires.
Dons, un spectacle exigeant un décor à monter/démonter régulièrement.

De Bemels invente une sorte de structure de maison qui est un assemblage : ni écrous, ni vis, mais des emboîtements. Le décor se monte en moins d'une heure. Tout est conçu pour être un espace-jeu : perspective accélérée pour donner l'illusion d'une grande maison sur quatre mètres de profondeur, espace ouvert, pas de mur, une suggestion de sol, pas de toit, comme un squelette de maison, légèreté de l'installation, facilité du transport, scénographie exactement conçue pour la tournée ! Le spectateur a devant lui une suggestion de maison complète : esquisses de murs, charpente de toit, balustrade, chaise, fauteuil, armoire, vaisselle, porte-manteau…la structure suffit à évoquer l'ensemble. Mais le plus important : toute cette structure assemblée comme dit plus haut peut facilement bouger, trembler, si le comédien l'actionne, si le comédien fait bouger un seul portant, toute la structure bouge : comme si une tempête, un grand vent, passait sur la maison. Image très impressionnante et immédiate, réalisée avec des moyens ultra simples, de délabrement, de ruine, de fantôme de maison…

Scénographie permettant un autre rapport au public

LA MISSION

de Heiner Muller

Mise en scène : Marcel Delval et Michel Dezoteux

Théâtre Varia, 1986

L'idée du départ fut de placer le spectateur en position de voyeur pour cette pièce qui propose une réflexion poétique et violente sur la Révolution française. 80 spectateurs, pas un de plus, surplombent l'aire de jeu : parquet d'ambassade qui dévoile en se soulevant un bourbier : celui d'où émergeront les morts (les souvenirs), celui où s'affronteront, réellement et physiquement, Danton et Robespierre.

La position du spectateur est ainsi accentuée, au même titre que celle de l'acteur. La Révolution est finie, les morts racontent, le temps est théâtral. L'espace de jeu est cerné de portes qui sont celles des loges des comédiens. Et le spectateur est témoin de leurs changements de costumes ou de rôles. Quelqu'un qui vient de mourir traverse l'espace pour aller se doucher. Par le biais des portes, on passe sans problèmes du XVIIIème au XXème siècle. Un personnage en perruque succède à un personnage en complet-veston. Tout est normal pour le spectateur-voyeur conscient d'être au théâtre.

Quant au bourbier, il a nécessité des semaines de recherches intensives et insolites : quelle boue choisir ?

Il fallait qu'elle ne sèche pas trop vite, qu'on puisse la ré humidifier, qu'elle ne moisisse pas, qu'elle ne développe pas des bactéries dangereuses pour les comédiens…

Et il fallut ajouter à l'équipe technique une habilleuse, une machine à laver et un séchoir, chaque représentation entraînant une sérieuse lessive !

 

Scénographie  « partenaire »

DIOTIME ET LES LIONS

de Henri Bauchau

Mise en scène : Gisèle Sallin

Théâtre des Osses, Fribourg, 1994

Un dispositif simple : 50 perches en bois de 45 mm de diamètre et de 5 m de long, reliées entre elles par des fils pour former un carré de 5m de côté. Le tout suspendu à 6 fils manipulés par un régisseur par l'intermédiaire de 6 treuils manuels. Le décor est ici un vrai partenaire pour la comédienne, il modifie en permanence son espace de jeu, et grâce à l'éclairage lui donne son sens. Il devient mur, flan de cheval, prison, barrière à franchir, toit de tente pour dormir, dune dans le désert, ciel à la belle étoile…Le troisième partenaire est évidemment le régisseur qui travaille dans l'ombre en permanence, avec sensibilité, attentif au jeu de la comédienne.

Le scénographe conçoit l'espace d'une représentation théâtrale en connivence étroite avec le metteur en scène d'abord, mais aussi avec toute l'équipe de création. Comédiens, éclairagiste, régisseurs doivent être en accord avec la scénographie proposée.

Le scénographe conçoit non seulement l'espace de jeu où évolueront les comédiens, danseurs ou chanteurs, mais parfois aussi l'espace des spectateurs, de façon à créer des rapports privilégiés entre le spectateur et l'acte théâtral.

A l'aide des volumes, des matières et des couleurs, le scénographe crée l'espace spécifique qui répondra le mieux aux impératifs du texte et de l'action :

• espace partenaire de jeu pour les comédiens

• espace porteur de symboles, de réalités, de contresens en accord avec la dramaturgie du spectacle

•  espace éphémère qui vit au rythme des ombres et des lumières

 Le scénographe participe à la magie du théâtre en apportant sa créativité personnelle à l'équipe qui réalise le spectacle, tout en assurant la cohérence de tous les éléments visuels de la représentation.

Jean-Claude De Bemels

octobre 2000

retour